Des centaines de vies épargnées sur Utah Beach grâce à une erreur de 2 kilomètres, le débarquement à Omaha Beach qui a failli être stoppé face à l'ampleur du chaos, des soldats alliés qui parlent français sur Juno Beach à la grande surprise des Normands... Voici trois histoires mémorables du Jour J.
Le Débarquement de Normandie est la plus grande opération combinée de l'histoire. Le 6 juin 1944, la situation à Omaha Beach est tellement catastrophique aux premières heures du Jour J que les Américains pensent à arrêter tout mouvement de troupes. A l'inverse, à Utah Beach, le débarquement ne se passe pas à l'endroit prévu et les GI's affrontent une défense allemande beaucoup mois virulente qu'à l'endroit initial.
Sur Juno Beach, les Normands accueillent leurs libérateurs avec enthousiasme, des soldats parlent le français, ce sont les militaires du régiment francophone de la Chaudière. A leurs côtés, le correspondant de guerre Marcel Ouimet, seul reporter de langue française.
Ces récits sont inspirés de l'ouvrage que vient de publier le dessinateur de presse Chaunu et Jean-Baptiste Pattier, journaliste de la rédaction. Un ouvrage où se mêle récit historique, anecdotes et témoignages inédits. Ce sont les Histoires mémorables du Débarquement et de la Bataille de Normandie (éd. Armand Colin).
Utah Beach : la bienheureuse erreur du Débarquement
Comme sur l'ensemble des plages du Jour J, à Utah Beach, l'assaut commence par la mer. Les obus tirés par les navires de guerre épargnent de nombreuses défenses allemandes mais anéantissent plusieurs champs de mines. Les bombardements aériens sont beaucoup plus précis. 4 000 bombes sont larguées sur le Mur de l’Atlantique. Mais le succès du débarquement à Utah ne dépend de ce rideau de feu mais d’un heureux hasard. Il est 6 h 31 quand les GI’s de la première vague d’assaut quittent leur barge. Les tirs ennemis sont étrangement peu soutenus.Une chance inouïe. Les défenses allemandes sont nettement moins redoutables et les soldats ennemis moins aguerris.
Parmi les premiers assaillants, le général Roosevelt. Teddy Roosevelt est un lointain cousin du président des États-Unis en exercice depuis le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il est surtout le fils de Theodore Roosevelt, président des États-Unis de 1901 à 1909. Âgé de 57 ans, souffrant de douleurs articulaires et canne à la main, il a tout de même souhaité être le commandant de l’assaut. Il ne tarde pas à se rendre compte que les indications sur le plan de l’opération ne coïncident pas avec le paysage qui l’entoure. Les courants l’ont emmené lui et ses hommes 2 kilomètres plus au sud. Une chance inouïe. Les défenses allemandes sont nettement moins redoutables et les soldats ennemis moins aguerris.
Très vite, les nouvelles vagues d’assaut se succèdent. Les unités de génie anéantissent les obstacles et ouvrent la voie pour constituer une tête de pont. Les combattants pénètrent assez rapidement au-delà de la plage. Après 9 heures du matin, la jonction est établie avec des parachutistes de la 101e Airborne. Pour autant, le débarquement à Utah Beach n’est pas une simple promenade. La batterie allemande de Crisbecq tire sur les troupes qui avancent et sur les navires alliés. Au soir du 6 juin, 23 250 hommes ont débarqué à Utah et le nombre de pertes est le plus faible de toutes les plages du Débarquement, 589 GI’s sont tués, blessés ou portés disparus.
Omaha Beach ou "Bloody Omaha"
Toujours en secteur américain, le débarquement est bien différent Omaha Beach. Il est 6 h 35 quand les premiers GI’s sautent de leur barge d’assaut. Dès les premières secondes, ils reçoivent une salve de tirs allemands. Les bombardements aériens et navals préalables n’ont pas eu l’efficacité attendue. Les défenses allemandes sont presque indemnes quand ils débarquent. La géographie du littoral n’est pas non plus à leur avantage. Face à eux, des dunes et des collines offrent à l’ennemi une vue plongeante sur leurs avancées et leurs mouvements.La vision est apocalyptique, des blessés sont incapables de ramper jusqu’au rivage, rattrapés par la marée montante, ils se noient. Des barges, des chars et des jeeps sont en feu.
Dès les premiers instants, la situation s’annonce délicate sur Omaha. Le courant est si fort que les péniches de débarquement ont été déportées et les assaillants n’arrivent pas aux endroits prévus dans le plan d’attaque. Les soldats américains quittent leur barge à quelques mètres du rivage. Quand ils sautent dans la mer, beaucoup coulent dans l’eau froide alourdis par le poids de leurs paquetages. La majorité d’entre eux portent 30 kilos. Ceux qui sont parvenus à ne pas sombrer avancent tant bien que mal sous le feu de l’ennemi. Pour sauver leur peau, de nombreux fantassins se cachent derrière les obstacles dressés par les Allemands. Pris de panique, beaucoup de GI’s décident de se regrouper au centre de la plage mais deviennent hélas une cible idéale pour les balles allemandes.
Contrairement à ce qui avait été envisagé, ce ne sont pas quatre bataillons ennemis qu’ils doivent affronter mais huit. Beaucoup de soldats ont le réflexe de plonger pour éviter les tirs mais ils sont touchés sous l’eau. Les cadavres sont de plus en plus nombreux sur le secteur d’Omaha. Face à cette effroyable conjoncture, des soldats refusent d’abandonner leur barge d’assaut. Un sergent du 116e régiment d’infanterie menace ses hommes avec son arme et leur ordonne d’aller combattre. La vision est apocalyptique, des blessés sont incapables de ramper jusqu’au rivage, rattrapés par la marée montante, ils se noient. Des barges, des chars et des jeeps sont en feu.
Quand les soldats commencent à découvrir l’épouvantable carnage, une angoisse s’empare des combattants mais ils n’ont pas d’autre choix que de sauter pour lutter et tenter de venir en aide à leurs camarades. Certains d’entre eux sont cachés derrière une digue et ne veulent plus en sortir de peur d’être abattus. Ils restent là prostrés, en état de choc et épuisés.
Les réactions des GI’s traumatisés varient et sont à la mesure du chaos qui règne sur Omaha.
Un autre soldat pique des sprints dans tous les sens sur plusieurs dizaines de mètres avant d’être abattu en pleine course. Pris d’affolement, des marins d’un bateau chargé en équipement et en véhicules avec chauffeurs quittent leur embarcation. Les pauvres pilotes abandonnés doivent s’armer de patience et faire confiance à la marée pour atteindre la plage.Sans doute pour ne pas réaliser ce qui se passe, un combattant improvise une balade en déambulant sur la plage comme un beau jour de printemps. Un de ses frères d’armes le ramène à la raison en lui criant dessus. Il finit par se baisser et évite les balles ennemies.
Dans ce chaos, des héros se révèlent et ce ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Des soldats sont tout de même parvenus à se mettre à l’abri sur la plage. Un jeune caporal de seulement 1,65 mètre pour 56 kilos réalise six allers et retours et ramène plusieurs hommes sur le sable dans un endroit sûr.
À 8 h 30, au regard des circonstances calamiteuses, le général américain Bradley, à bord de l’USS Augusta, décide de stopper tout mouvement vers Omaha. 25 000 hommes et 4 400 véhicules doivent débarquer lors des prochaines vagues d’assaut. La crainte d’un embouteillage fatal est bien légitime. Le commandant des opérations sur Omaha réfléchit même un court instant à abandonner le secteur et envoyer les nouveaux assaillants sur Utah Beach ou sur les plages britanniques. Mais à partir de 9 heures la situation commence à s’inverser et tourne à l’avantage des Américains.
Sur la plage d’Omaha, des chefs de régiment savent trouver les mots pour regonfler le moral des troupes. Le colonel Taylor prononce ces quelques mots devenus célèbres :
En milieu de matinée, quelques brèches étroites commencent à s’ouvrir. À la mi-journée, un message positif parvient au commandant Bradley. Des hommes ont réussi à dépasser les plages. L’avancée est mince, quelques mètres tout au plus, mais elle est tout de même significative. En fin de journée, 30 000 hommes ont débarqué à Omaha mais le bilan humain est lourd. 1 800 soldats ont perdu la vie ou sont portés disparus et 2 300 sont blessés. Omaha devient alors dans l’histoire « Bloody Omaha », « Omaha la sanglante ».Il n’y a que deux sortes de gars qui vont rester sur cette plage : ceux qui sont morts et ceux qui vont mourir ; alors foutons le camp d’ici en vitesse !
Juno Beach : des libérateurs parlent le français
La seule plage canadienne du Jour J est Juno Beach et s'étend de Graye-sur-mer à Saint-Aubin-sur-mer. Sous commandement britannique, 14.000 soldats canadiens prennent part à l'assaut. Et parmi ces soldats canadiens, figurent les hommes du Régiment de la Chaudière, régiment canadien francophone du Débarquement. Ils arrivent en Normandie sur la plage de Bernières-sur-mer. Les habitants de la côte n'en reviennent pas de rencontrer des libérateurs qui parlent la même langue qu'eux. Certes, un accent est bien présent, mais les Normands et les Canadiens de langue française se rendent compte qu'ils ont de nombreuses expressions communes. Certains habitants de Bernières-sur-mer n'hésitent pas à trinquer au cidre ou au Calvados avec des "gars de la Chaudière" comme certains Normands aiment les appeler.Les habitants de la côte n'en reviennent pas de rencontrer des libérateurs qui parlent la même langue qu'eux.
Côté soldats canadiens, pour beaucoup c’est une émotion particulière, la France est la terre de leurs ancêtres, celles et ceux qui fondèrent la Nouvelle-France en Amérique du Nord à partir du XVI ème siècle.
Intégré aux forces armées canadiennes et au Régiment de la Chaudière, Marcel Ouimet, correspondant de guerre pour Radio-Canada débarque aussi le 6 juin 1944 et a signé le seul récit du Jour J radio-diffusé en langue française.
Marcel Ouimet est âgé de 29 ans quand il débarque après la première vague d’assaut entre 9h30 et 10heures du matin. Avant d’atteindre le rivage, il descend d’une barge de débarquement et parcourt les vingt-cinq derniers mètres à moitié immergé avec de l’eau jusqu’à la ceinture. Tellement chargé qu’il tient sa machine à écrire à bout de bras pour qu’elle ne prenne pas l’eau. À peine arrivé, Marcel Ouimet va écrire son reportage du D-Day à l’hôtel Belle Plage, situé à quelques mètres de la plage, dans une rue perpendiculaire au front de mer. Ce bâtiment existe toujours, il a été transformé en appartements et est appelé "la maison des correspondants de guerre".
La Normandie, cette Normandie que l’on veut toujours revoir comme le dit la chanson, après tout, c’est un peu chez nous, d’autant plus chez nous aujourd’hui que certains de nos gars y dorment leur dernier sommeil sous ce sol riche que leurs ancêtres ont quitté pour aller fonder la Nouvelle-France.
Marcel Ouimet, correspondant de guerre pour Radio-Canada, débarqué le 6 juin 1944
Rappelons ici que l’explorateur Samuel de Champlain est parti du port de Honfleur pour fonder la ville de Québec en 1608. Par la suite, Marcel Ouimet couvre toute la bataille de Normandie et entre dans Berlin libéré en juillet 1945.